Rezension
L‘Antiquité Classique 77/2008
Il faut avoir beaucoup de courage, peut-être aussi une certaine dose d'inconscience, pour oser reprendrea fundamentisun sujet comme celui des tribus romaines; sur lequel ontplanché, avec desrésultats divers, des chercheurscomme L.R. Taylor, A. Alföldi, ou J. Cels-Saint-Hilaire (pour ne citer que quelques noms importants). De plus, vouloir ne prendre en compte que les plus anciennes tribus, à savoir les Tities, Ramnes et Luceres, dites »romuléennes«, les 4 urbaines et les 17 premières rustiques, en s'arrêtant au milieu du V siècle, rend la recherche plus délicate, plus complexe et plus problématique encore. C'est qu'on ne peut pas parler valablement des tribus sans prendre position sur l'ensemble des problèmes liés à l'histoire de la Rome de la Royauté et des débuts de la République, un monde dans lequel viennent interférer les influences étrusques et grecques (cf. le «contexte méditerranéen» du titre) et un sujet sur lequelles Modernes sont encore profondé ment divisés. Bref, la matière est énorme et la bibliographie imposante, ce qui explique ce livre de 738 pages aux notes surabondantes, un livre qui est par ailleurs bien structuré (l'auteur veille systématiquement aux résumés et aux transitions), dont la présentation typographique est soignée et qui est écrit dans un allemand clair et lisible. Bref, il faut admirer le courage de l'auteur et sa performance. Mais il est temps de présenter l' ouvrage un peu plus en détail, même si sa densité et la complexité même du sujet ne permettront pas d’entrer dans des discussions tech- niques précises. ? Cinq chapitres séparent l'Einleitung (p. 1-23) des Ergebnisses,(p. 614-626). Le premier (Die Stadtwerdung, p. 24-82) trace le cadre de la naissance et du développement de Rome, dans une perspetive qu' on pourrait appeler classique. On en jugera par la succession des exposés qui partent du pomerium et de la Roma quadrata, pour arriver à l'intégration des colles en passant notamment par le Septimontium. On notera que l'auteur est trés réticent et on le comprend à l'egard des interprétations que A. Carandini a données lui-même à ses propres fouilles au Palatin (cf. notamment p. 33-41 passim, et aussi la p. 614 de la synthèse). Le deuxième chapitre (Die drei ältesten Tribus, p. 83-277) étudie en profondeur (presque 200 pages) les Tities, Romnes, et Luceres, ces trios tribus primitives, dites »romuléennes« ou parfois aussi »gentilices«, généralement considérées comme historiques. M. Rieger croit également à leur historicité , tout en n'épousant pas les vues de l'annalistique traditionnelle et celles de beaucoup de Modernes. Selon lui, ces tribus n'ont aucune signification ethnique (Romains, Sabins, Étrusques); ce sont des unités territoriales, des créations artificielles donc, qui supposent déjà un développement de Rome en tant que polis, antérieur à l'integration des colles. Elles seraient dues à Tarquin l'Ancien, dateraient du VI ? siècle, et trouveraient leur origine lointaine en Grèce, l’ Étrurie ne jouant qu'un simple rôle de transmission. Les termes Tities, Ramnes, et Luceres recouvriraient des groupements gentilices locaux chargés d'assurer la défense de la ville en tenant compte des nouveautés militaires provenant de la Grèce, en l'espèce le systeme hoplitique. ? Le troisième chapitre (Die vier Stadttribus, p. 278-344) est consacré aux quatre tribus urbaines, dites »serviennes«. Créations de Servius Tullius, successeur de Tarquin l'Ancien, elles auraient, selon l'auteur, été installées entre 550 et 520 a.C.n. Les sources antiques sont analysées en profondeur, à la lumière des travaux modernes, sur toute une série de points: la muraille, la création des quatre régions et des quatre tribus, le rôle des tribus dans le cadre du census, l' enregistrement dans les tribus, notamment des affranchis et des étrangers, l'organisation interne des tribus, leur rapport avec les Tities, Ramnes, Luceres, la division du sol sous Servius Tullius (pagi), etc. Le quatrième chapitre (Die Landtribus, p. 345-468) examine la question des tribus rustiques. On connaît le texte célèbre de Tite-Live (II,21,7): »cette année-là (495 C.)Romae tribus una et viginti factae«. Après avoir présenté l'historiographie du sujet, M. Rieger estime, avec beaucoup d'autres chercheurs, que 495 est bien le terminus ante quem de la fondation des anciennes tribus rustiques et qu'à cette date, il y en avait donc 17. Sont alors abordées la présentation et l'analyse des fondations, d'abord de la tribus Claudia, sur laquelle la tradition n'est pas avare d'informations, ensuite de la tribus Clustumina, mise par l'auteur en rapport avec la secessio plebis de 494 (la Clustuminienne serait la première tribu »plébéienne« [p. 621]). Ces deux tribus ont-elles été créées successivement ou en même temps, on peut en discuter; mais on peut en tout cas songer aux fourchettes chronologiques suivantes: 504-495, pour fa première, 499-495, pour la seconde. Le cas des autres tribus rustiques est beaucoup plus délicat, même s'il est raisonnable de dater leur creation de la période qui sépare la fin du règne de Servius Tullius (ca. 530- 520) de la fondation de la Claudia (504-499). Pour y voir plus clair, l'auteur se tourne vers l'histoire des gentes qui leur donnèrent leur nom, une histoire sur laquelle les Fastes et les textes littéraires permettent d'avoir une idée (plus ou mains précise). Effectivement, l'analyse des généalogies et surtout la determination de l'origine géographique des gentes éponymes sont susceptibles d'eclairer le contexte général de la fondation des tribus et la mobilité sociale dans le Latium de la fin de la royauté. Le savant allemand montre que les trois quarts des gentes éponymes n' ont pas une origine romaine, et il suppose que les tribus doivent leur nom aux gentes immigrantes les plus puissantes. L'interprétation des données conduit à un tableau récapitulatif (p. 420) et à une conclusion qui reste malgré tout assez imprécise: 15 tribus créées à l'époque de Tarquin le Superbe et de Porsenna. M. Rieger examine ensuite le statut et la puissance des gentes éponymes dans la Ville et dans l'ager Romanus antiquus, mettant à l'avant-plan les questions d'organisation, de pouvoir économique et politique, et d'autonomie (notamment dans la conduite de la guerre). Apparemment les gentes constituaient dans leur zone d'origine une force politique et économique importante, mais, comme le montre l'exemple des Claudii, elles étaient disposées à s'intégrer au mieux dans l'ordre urbain. Peut-être même la position dominante des gentes dans les tribus rustiques contribua-t-elle à la formation du patriciat romain. Le chapitre contient aussi une comparaison entre les tribus romaines et les phylae athéniennes (p. 458-464). Le cinquième chapitre (Die Lokalisierung und Bedeutung der Tribus, p. 469-613) étudie la localisation et la signification des tribus, qui sont l'une après l'autre systématiquement passées en revue. En ce qui concerne la localisation, les nouveautés du travail concernent surtout les tribus rustiques, dont certaines voient leur emplacement complètement modifié, surtout par rapport aux vues d'A. Alföldi, M. Rieger rejetant la thèse d'une double ceinture de tribus. Le tableau récapitulatif de la p. 587 et surtout la série de cartes des p. 732-738 permettent de mieux comprendre les positions du savant allemand et de voir où il s'écarte des vues de ses prédécesseurs directs, restant toutefois plus proche, fondamentalement, des vues de L.R. Taylor, The Voting Districts of the Roman Republic, 1960, que de celles d'A. Alföldi. Il semble cependant conscient du caractère hypothétique de ses reconstructions (p. 521, pour les limites entre tribus en tout cas). Il insiste sur l'existence d'une frontière de l'ager Romanus antiquus sur la rive droite du Tibre (p. 506-512). La fin du chapitre est notamment consacrée à des questions liées à l'importance politique et territoriale des tribus rustiques (p. 593-6.14). ? Apres une brève synthèse (Ergebnisse, p.6l4-626), les 110 dernières pages sont occupées par de la bibliographie (p. 627-653), des index multiples et détaillés (p. 654-730) et quelques cartes (p. 732-738). – Il est impossible d'en dire plus dans le cadre de ce compte rendu, déjà fort long, mais on aura compris qu'il s'agit d'une analyse imposante et importante, dont devra dorénavant tenir compte tout travail portant non seulement sur les premières tribus romaines mais aussi sur l'histoire primitive de Rome. On n'oubliera cependant pas que le sujet lui-même ne permet que peu de solutions sûres et définitives, et que l'histoire des tribus romaines ne s'est pas arrêtée au milieu du V ? siècle. Pour la suite, ou en tout cas une partie de la suite, le lecteur intéressé pourra lire avec profit les pages ad hoc du beau livre de Michel Humm, Appius Claudius Caecus. La république accomplie (BEFAR, 322), École française de Rome, 2005 qui. A été présenté dans le volume précédent (p. 533-535).
Jacques Poucet